Les manœuvres informationnelles de la maire de Paris dans le dossier des voies sur Berges

 



 

Le 25 octobre dernier, l’arrêté du 6 mars 2018 de la maire de Paris d’interdire la circulation automobile sur les Berges de la rive droite de la Seine a été validée par le tribunal administratif de Paris, celui-là même qui quelques mois auparavant (février 2018) avait annulé un 1er arrêté de fermeture à la circulation de ces voies dans les 1er et 4e arrondissement de la capitale. Deux jours plus tôt, la cour administrative d’appel avait en revanche confirmé l’annulation du 1er arrêté.   Pour l’instant, les célèbres voies sur berges restent donc interdites à la circulation automobile en attendant la position du Conseil d’État. Cette succession de décisions de justice témoigne ainsi du climat hostile dans lequel intervient cette mesure emblématique de la maire de Paris. Le mouvement des gilets jaunes ne s'est pas greffé sur cette  problématique. En revanche, derrière la polémique sur la fermeture des voies sur berges, se cache une question essentielle : qu'est-ce qui est le plus important, la santé des Parisiens ou la préservation culturelle d'un site ?

 

Retour sur une mesure emblématique à la fois plébiscitée et décriée

L'opération de piétonisation des berges de la Seine remonte à 1995 avec la fermeture temporaire à la circulation automobiles « tous les dimanches » de la voie Georges-Pompidou décidée par le maire RPR de l’époque Jean Tiberi (de 1995 à 2001). Face au succès rencontré par cette opération, notamment auprès des familles, son successeur Bertrand Delanoë (maire PS) décida d’étendre l’opération, « aux jours fériés » et à un mois pendant l’été à l’occasion de « Paris Plage » car il s’agit de périodes de moindre activité économique. Dès son arrivée à la tête de la Mairie de Paris, Anne Hidalgo (PS) a accéléré le processus notamment sous l’impulsion de la COP21 (Conférence de Paris sur les changements climatiques de 2015), en optant pour une « fermeture définitive » de cet axe très emprunté de la capitale dans un objectif de réduction de la pollution de l’air et d’amélioration de la santé publique. Elle en a d’ailleurs fait la mesure phare de son mandat à la tête de Paris.

Ainsi, en 2016, sur le fondement de la délibération du Conseil de Paris déclarant, à la suite d’une enquête publique, d’utilité publique le projet d’aménagement des berges rives droite de la Seine et la transformation de celle-ci en promenade publique, la maire autorise, par arrêté, la création de l’aire piétonne dénommée « Berge de Seine – centre rive droite » et ferme ainsi de façon permanente une partie des voies rapides à la circulation. Cette fermeture à la circulation d’un axe jusque-là emprunté par 43 000 automobilistes par jour ne fait pourtant pas l’unanimité et provoque de vifs échanges lors des sessions du Conseil de Paris. En effet, la maire doit faire face à une opposition forte de la droite, menée notamment Nathalie Kosciusko-Morizet (Conseillère LR à la mairie de Paris) et Valérie Pécresse (Présidente LR de la région Ile de France), « fer de lance de la contestation à la piétonisation », mais aussi à la contestation de cinq départements et d’une centaine de commune ainsi qu’à celle du mouvement associatif (40 millions d’automobilistes…).

Le MEDEF Paris a également vivement réagi à cette mesure qualifiée de « contrainte supplémentaire » par nombre d’acteurs économiques comme les entreprises de logistique, du bâtiment et de livraisons ou encore les artisans entres autres, qui doivent désormais contourner la voie expresse Georges Pompidou pour se rendre sur leur chantier. Les riverains et les contribuables locaux ont également joué un rôle d’opposant prépondérant dans ce dossier, puisque ces derniers sont à l’origine de la saisine du juge administratif contre les deux arrêtés du maire.   Tous ont déploré l’absence de concertation globale intégrant les acteurs politiques, économiques et la population et critiqué la « méthode autoritaire » de la maire de Paris, l’accusant de mener « une guerre sans merci aux automobilistes ». Le débat entre les pro et les anti-piétonisation est vif et une guerre informationnelle s’engage.

 

Une guerre de communication sur les impacts de la mesure

Une guerre de communication s’est engagée entre les « pro » et les « anti » piétonisation sur le suivi et l’évaluation des impacts de la piétonisation des voies sur berge, chacun tentant d’en démontrer à coup d’études, de rapports et autres avis, soit les aspects positifs soit les aspects négatifs sur les conditions de circulation, la qualité de l’air et le bruit. L’absence de distinction entre les trajets effectués au titre des loisirs et les déplacements professionnels a également des incidences économiques selon l’organisation patronale pour qui la fermeture de la voie Pompidou, sur 3,3km de long, engendre en raison des bouchons aux heures de pointe (matin et soir), « un total de 1 million d’heures perdues par an soit 700 emplois équivalent temps plein par an ».

Le coup de grâce viendra du Tribunal administratif qui le 21 février 2018, a accueilli le recours des opposants à l’interdiction de la circulation en pointant notamment « les inexactitudes, les omissions et les insuffisances de l’étude d’impact réalisée par la Ville de Paris concernant les effets du projet » ce que la Cour administrative d’appel confirmera en précisant notamment que cette étude figurant dans le dossier d’enquête publique de la ville de Paris «  a délibérément occulté une partie notable des incidences du projet sur les émissions de polluants atmosphériques et les nuisances sonores, notamment en limitant l'analyse de ses effets sur la pollution atmosphérique à une bande étroite autour des berges, sans en étudier l'impact sur les principaux axes de report de trafic, en ne prenant pas suffisamment en compte les effets négatifs dus au phénomène prévisible de congestion du trafic et en s'abstenant d'évaluer les nuisances sonores nocturnes ». La Cour confirme ainsi que la communication menée par la Ville de Paris dans ce dossier a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population sur « sur des éléments d’appréciation de l’intérêt du projet qui étaient pourtant essentiels, dès lors que celui-ci avait précisément pour objectif, notamment, d'améliorer la tranquillité et la qualité de l'air à Paris ».  Sur les réseaux sociaux, les opposants à la piétonisation se sont félicités de ce « double désaveu judiciaire » interprété par la presse comme un énième « camouflet » de la politique de la ville conduite par la Maire de Paris venant s’ajouter à la liste des mesures polémiques (fiasco du Vélib, « prolifération » des rats, polémiques du chantier des Halles…).

De leur côté, les partisans de la réforme se sont également mobilisés en manifestant au niveau des voies sur berge, le 10 mars 2018, pour défendre le maintien de leur piétonisation et son extension. Le lendemain, une tribune publiée dans Le Journal du dimanche, cosignée par cent personnalités appelait « les Parisiens et toutes celles et ceux qui le souhaitent à défendre comme un bien commun cet espace gagné sur la pollution ».  Cette mobilisation est intervenue quelques jours après le tour de force de la Maire de Paris qui venait de prendre un nouvel arrêté d’interdiction à la circulation sur les voies sur Berges.

 

La victoire de la bataille culturelle ?

Le second arrêté de piétonisation de mars 2018 qui a été validé par le tribunal administratif, prévoit exactement les mêmes fermetures que depuis octobre 2016 mais cette fois-ci sans aucun aménagement de la voie. Il repose aussi sur des considérations bien éloignées de celles initialement revendiquées par la maire puisque l’argument de la pollution automobile est désormais balayé au profit du classement des Berges de la Seine au patrimoine mondial de l'UNESCO. La préservation de l'authenticité et de l'intégrité d’un site classé justifierait-elle mieux une telle interdiction que la santé des parisiens et la protection de l’environnement ? En réalité, la première position du juge administratif dans cette affaire peut sembler particulièrement sévère à première lecture, mais elle se révèle être beaucoup plus subtile. En effet, l’annulation de la délibération du conseil de Paris et l’arrêté de la maire a en fait une portée pédagogique puisque le tribunal indique à la maire qu’elle était la bonne assise juridique à adopter pour prendre une telle mesure d’interdiction sur un axe très fréquenté des automobilistes et alors même qu’il n’était pas tenu de le faire.

On imagine donc mal le même tribunal invalider le cadre juridique qu’il avait lui-même indiqué à la maire (art. L2213-4CGCT-interdiction permanente de la circulation automobile dans une partie de la commune et non article L2212-2 du CGCT qui permet une interdiction ciblée de la circulation). Nouveau cadre juridique qui non seulement exonère la maire d’une délibération en conseil des ministres, le pouvoir de police qu’elle détient du CGCT étant un pouvoir discrétionnaire, mais aussi de l’avis conforme du Préfet de police qui, jusqu’à l’entrée en vigueur du nouveau statut de Paris le 28 février 2017, pesait sur les décisions de la maire en matière de circulation notamment. Projet de loi auquel elle a d’ailleurs activement contribué aux côtés du gouvernement et qu’elle appelait de ses vœux.   Aussi, quand bien même cette annulation, prononcée courant février 2018, entraînait un rétablissement du droit en vigueur avant son adoption en raison de l’effet non suspensif de l’appel ; les crues historiques qui avaient inondées Paris à cette même période n’auraient pas permis une réouverture des voies sur Berge à la circulation, de telle façon qu’en l’absence même de sursis à exécution du juge administratif, la maire de Paris avait toute la latitude nécessaire pour prendre son nouvel arrêté même si les motivations de ce dernier semblent être fragiles voire saugrenus lorsqu’il s’aventure sur le terrain de la sensorialité.


  • En effet, « Paris rives de seine » est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité depuis 1991 alors que les voies sur berges existaient déjà ;

  • L’inscription sur la liste du patrimoine mondial ne porte pas sur « les voies concernées » par l’arrêté contrairement à ce que laisse entendre la rédaction de l’arrêté mais sur une zone beaucoup plus vaste incluant notamment les quais hauts sur lesquels s’est reporté une partie du trafic et donc les bouchons et la pollution. Le sud de la voie étant quant lui exclut de ce périmètre protégé.

  • L’Unesco n’a nullement lié le maintien du classement du site à la suppression de la circulation ni menacé d’un éventuel déclassement comme elle a pu le faire dans d’autres affaires (arbres du Canal du Midi, éoliennes Mont saint Michel).



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Enfin, Le juge administratif pouvait-il raisonnablement admettre pour valider un tel arrêté d’interdiction permanente à la circulation un motif fondé le caractère apaisé de la circulation comme « un facteur déterminant » dans le choix d’une destination par les touristes ? A l’approche des élections municipales de 2020, faut-il y voir une volonté de l’État d’entériner une mesure qui divise les parisiens depuis de nombreuses années ? La mesure était en effet soutenue par Nicolas Hulot alors ministre de l’environnement. Les principaux acteurs politiques (la présidente de région en tête) et économique (le Medef Paris) opposés à la mesure ne l’ayant d’ailleurs pas contestée devant le TA, certains allant même jusqu’à reconnaitre, suite à la validation du tribunal, « l’objectif certainement louable » de la piétonisation des voies sur berge. Est-ce qu’un candidat à la mairie de Paris osera remettre en cause cette mesure approuvée par 55 % des parisiens (sondage mars 2018). Ce jugement marque certes la victoire de la bataille culturelle d’Anne Hidalgo…mais à quel prix ? celui de la défaite idéologique. Sa mesure phare de réduire la place de la voiture dans Paris a été validée en jouant la carte du Patrimoine reléguant ainsi le droit de l’environnement en instrument de contrainte. Elle a également réussi à faire plier le camp adversaire qui aura du mal à contester sa mesure.

Doit-on s’inquiéter d’un tel revirement, ce qui était considéré comme un enjeu de politique publique a été écarté au profit d’un enjeu patrimonial et touristique. Cet argument culturel pourrait-il être étendu par la maire pourrait pour interdire la circulation dans la quasi-totalité du centre historique de Paris tel que classé par l’Unesco et ainsi faire de Paris une ville sans voiture ? Pour l’heure, les requérants n’ont pas fait appel du second jugement, ils ont jusqu’au 25 décembre pour se décider. Le dénouement de cette affaire viendra du Conseil d’État. En effet, Anne Hidalgo avait annoncé se pourvoir en cassation contre l’annulation de la cour administrative d’appel. On peut se demander si le Conseil d’État fera preuve d’audace jurisprudentielle en infirmant la décision des juges du fond et en faisant ainsi primer la santé des parisiens sur la valeur patrimoniale des berges et en clôturant ainsi définitivement le débat sur la piétonisation de la voie Georges-Pompidou.

 

Kheira Tayeb


 

 




 

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